Le toucher comme « saisie des coexistences »
Pour Aristote, le toucher est « le sens le plus aiguisé que [l’homme] possède », mais aussi celui par lequel « ça nous échappe ». «Ça », quoi ? nous verrons. La simultanéité de la sensation en tout cas nous trouble, nous confond, nous saisit, tout en ouvrant l’espace d’une réflexion.
Pour Diderot et Merleau-Ponty, c’est le sens premier, celui de la spatialité, la condition du visible, sans lequel « aucun des autres n’existe ».
Pour Derrida, la question est : comment toucher à l’intouchable ?
Pour Jean-Luc Nancy, il n’y a pas d’intouchable : être touché c’est d’abord l’être dans son corps, quand bien même il s’agirait d’un état d’âme : « L’intouchable, c’est que ça touche. On peut aussi employer un autre mot pour dire cela : ce qui touche, ce par quoi on est touché, c’est de l’ordre de l’émotion. »
Les cinq philosophes posent chacun à leur manière la question, particulièrement pertinente aujourd’hui, du propre du toucher, de « ce qui » saisit et de ce qu’il saisit. A l’ère des écrans tactiles et de l’haptique, il semble nécessaire de relever et d’éclairer les ambiguïtés de ce sens, perçu tour à tour comme épreuve d’un certain désordre, surface ponctuelle du sentir, ou espace de connaissance du corps, qui s’offre alors comme interface avec le monde.
Ressources complémentaires
Références bibliographiques
– Aristote, De l’âme, trad. Richard Bodéüs, Paris, GF Flammarion, 1993
– Jacques Derrida, Le toucher, Jean-Luc Nancy, Paris, Galilée, 2000
– Denis Diderot, Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient, Paris, Gallimard, 1749, 1951
– Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, 1976
– Jean-Luc Nancy, « De l’âme » in Corpus, Paris, A.M. Métailié, 1992